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Alors allons-y pour la suite… donc jour J(opération) + 44 jours, 6 semaines. Je suis toute contente car je marche, ou plutôt, je marchotte, comme une sorte de toxicomane que tu croises de temps en temps (assez souvent en fait), qui marche en boitant, mais qui marche vite. Bref, toute contente de marchotter, je vais et je viens, je retrouve de l’entrain, mais mon genou est lui, toujours aussi gonflé. Une grosse patate en forme de genou. Il me fait penser à ces poissons qui gonflent d’un coup quand ils ont peur. J’en ai déjà croisé un quand j’étais petite au Portugal. J’étais face à lui, et la grosse bête bizarre que j’étais avec mes bras, jambes et tuba a terrorisé suffisamment ce poisson pour qu’il me montre son plus beau gonflement plein de piquots. C’était sensé m’effrayer et cela a très bien réussi, nous avons tous deux détalé dans le sens opposé. Nous ne nous sommes plus jamais croisés depuis lors.

Quand j’y repense, c’est drôle comme le gonflement parait être utilisé comme une défense, chez les animaux et dans le corps. Je me demande contre quoi se défendent les gros hommes politiques qui nous gouvernent… Je digresse :bref mon genou gonfle !

J’ai rendez-vous avec celui qui m’a ouvert le genou, il porte le même nom qu’un personnage célèbre dans Harry Potter, et je l’adore. Il a l’air tout doux et a ce regard de celui dit : « je vais charcuter ton corps, forer, marteler, mettre des vis, etc… » et dans en même temps « cela va être facile, doux et une vraie partie de plaisir, je fais cela tout le temps, j’ouvre des corps aussi facilement que je bois du café, la routine quoi ».

J’arrive de mon pas de canard, assez fière de ma rapidité. J’entre, en retard, avec tous les bouchons de la ville, mais il est là, tout tranquille, il m’attend. Il teste mon genou et le malaxe. Il se plie un peu, déjà mieux qu’au début, le tend, et là, il (ma patate de genou) a du mal, il reste comme ça, à moitité plié, à moitié tendu, indécis. Mon chirurgien me dit : « ton genou est gonflé, il te parle, il te dit que tu en fais trop ». Pour un chirurgien, il est vraiment très à l’écoute du corps, j’en reste bouche bée. En gros je marche trop et surtout je marche mal. Il me raconte qu’un de ses amis, qu’il a opéré comme moi, avait lui aussi le genou bien gonflé et se plaignait : « je ne comprends pas pourquoi il est gonflé ! ». Et mon chirurgien de préciser : « il était en même temps en train de retaper sa maison. Il a arrêté, n’a rien fait pendant une semaine et son genou a dégonflé ».

Je crois que mon chirurgien me voit comme une fille hyper sportive et hyperactive, ça doit être l’effet « planche à voile ». Alors comment lui dire que moi pas question de retaper quoi que ce soit, si je peux utiliser mon genou pour ne pas participer à un déménagement ou un machin pénible dans le genre, alors franchement je n’ai aucun soucis avec cela. Mais si je suis bien honnête, j’ai un peu exagéré avec la marche version canard. Il m’explique que marcher de cette façon fait que la rotule supporte tout, qu’il n’y a pas encore assez de muscles autour pour soutenir (du flan ça ne compte pas docteur ? ) le genou, d’où le gonflement.

Et là, je vous avoue que mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai déjà l’impression d’être ralentie, de ne pas sentir mon genou qui me fait mal, hormis de voir qu’il est tout gonflé, et on me demande d’en faire encore moins. Je suis ressortie de cet hôpital toujours en clopinant, avec ma démarche de droguée énervée, tentant de contenir une énergie qui ne demandait qu’à sortir, qui poussait même pour être expulsée au plus vite. J’ai respiré. Je suis sortie. Et là…. encore bardafff j’ai explosé en pleurs, un peu comme quand tu vomis mais en vomissant des larmes : « j’en peux plus, j’ai rien demandé, pourquoi moi, etc….  » l’arbre devant l’hôpital en est témoin, un saule pleureur qui portait merveilleusement son nom. Je me demande s’ils ont fait exprès de planter cet arbre pour qu’il puisse récolter toutes les larmes des gens qui reçoivent une mauvaise nouvelle, qui ont envie de pouvoir s’adosser à un tronc plus solide que leur corps. Cela m’étonnerait qu’ils y aient pensé.

Je suis juste passée devant, en enlevant mon masque (parce qu’on est à nouveau tenu de porter un masque dans ces lieux), qui m’étouffait. « Morte étouffée par ses larmes avec son masque, une femme s’écroule devant l’hôpital, adossée à un saule pleureur », c’était un peu too much comme titre dans un journal, alors j’ai préféré rentrer dans ma voiture avec mon croissant bien sucré, acheté juste avant. Ca fait toujours du bien dans ces moments là de croquer dans une bonne dose de « pas bien », « pas bon », « trop sucré », etc… Au moins à cet instant, tu t’en fous complètement.

Arrivée chez moi, j’annule le rendez-vous avec une amie, j’envoie un message à mon kiné en lui disant que je brosse ce soir, avouant que je n’étais pas en état physique et mental pour faire quoi que ce soit comme exercice. Je file à l’épicerie du coin m’acheter une grosse boite de glace Hagendass (ben oui pourquoi se priver) ; Et je rentre, décidée à crucifier toute personne ou post sur les réseaux qui me parle de légèreté, de compréhension ou d’accueil. Je me transforme en bruleuse de tout espoir. Une énergie tueuse de toute joie sur patte. Bref, j’en ai marre. Marre d’être ralentie, qu’on me dise d ‘en faire encore moins, marre de ces mois, de ma vie, marre de tout. Et marre d’en avoir marre. Je regarde une série Netflix, Cobra Kai, un bon truc pour adolescent sur le karaté, avec plein de batailles et de combats. Pas trop de réflexions, exactement ce qu’il me faut.

D’habitude dans ces cas là, je me blottis dans ma tanière et ça passe. Malheureusement, une amie, assez à l’écoute et ouverte m’appelle. Et je m’autorise à lui dire toute ma façon de penser sur la vie : pas juste, l’univers et augmenter sa vibration, c’est de la merde, tout ces trucs de conscience c’est de la merde ; la pauvre je crache un tas de doutes, de ras-le bol, de lutte pour être bien, … de lutte. Le mot est dit : Lutte. Et j’arrête de lutter, je déclare forfait. J’accepte que mon potager soit vidé de tout, et sans rien encore. Je me sens vide. Et ce n’est pas vraiment un état que je connais et qui m’est familier.

Et je choisis cette soirée de me plonger dedans. J’y plonge en sachant ce que je fais, car au fond de moi, je sens que paradoxalement, cela me fait du bien de m’autoriser à pester, à dire :  » merde ». La musique aide, pas celle douce qu’on écoute pour se calmer, mais celle écrite par des écorchés, ou des gens plus talentueux que moi qui dans ces moments créent aussi pour dire « assez! » ; ces musiques qui parlent des bas-fonds, des ombres, du non sens, des trahisons.

Puis j’ai tiré des cartes de ce jeu d’Osho que j’adore ; d’habitude, j’en tire en étant concentrée, pleine de questions et d’espoir. Et cela m’inspire toujours. Là, je les tirais, en mode défi : « ok, et là, hein sacré univers ou conscience ou je ne sais pas quoi, tu vas me lâcher quoi encore ? » et la carte : » douleur » sort (aller au fond de ce que l’on vit, accepter, ne pas lutter) ; d’accord, et ça va m’amener où ça hein petit malin ? et je tire « épanouissement » (qui peut fleurir de tout ce qu’elle a expérimenté). Je maintiens ma position de doute, mais en étant quand même un peu plus intriguée : « et je fais ça comment ? les cartes  » intensité » et « lâcher prise » (être intense dans le moment, pas dans l’action, et laisser être ce qui est) sortent. Et je souris malgré tout. Je ne sais pas pourquoi, mais être négative et exploser de tout ce ras le bol, c’est plutôt léger ; malgré le doute et tout le reste, je ne peux m’empêcher de sentir que ce mouvement est juste. J’ai des réponses, en tout cas des pistes. Dans l’instant. Sans chercher à en savoir davantage.

Une amie me dit qu’elle compte faire une retraite personnelle dans sa maison, rester dans son lit ou à contempler la nature pendant plusieurs jours, simplement être présente avec elle même et se reposer. Cela m’inspire. Je me dis « je vais faire la même chose, au moins un jour. Je reste dans mon lit toute la journée et je jeûne ». Je me réveille le lendemain, me fait ma petite tasse d’eau chaude, de citron et de gingembre, décidée à ne pas marcher et à me reposer sans « rien faire ». Au bout d’une heure dans mon lit, réveillée, je ne tiens plus, je m’ennuie.

L’ennui ; cet espace d’ennui est inconfortable depuis bien longtemps, et je prends conscience des comportements que je mets (mettais) en place pour ne pas y rester trop longtemps : ranger, me dire que je dois faire ceci ou cela, m’activer, bouger, lire, sauter d’un truc à l’autre, me persuader que je suis bien obligée de faire toutes ces tâches et que je n’ai pas le choix.

Je repense à ma fille qui elle est absolument à l’aise avec « ne rien faire » et à rester en pyjama toute la journée. Je me revois en train de la houspiller, comme si c’était mal, dangereux et pas permis. (Je rassure tout le monde, ma fille a largement contré mes oppositions à ce sujet, c’est une belle enseignante! :)

Je me maintiens malgré tout dans cet « ennui », en était attentive à toutes les pensées et émotions qui arrivent au même moment. Elles arrivent par wagons entiers : l’une concerne le vide, l’autre le futur, la suivante la frustration, … bref, un train de pensées en tout genre déterminé à me mettre la pression. Mais cela fonctionne moins bien qu’auparavant, je reste à quai, et le train continue. Et la journée se passe, entre sieste et contemplation, sans manger (mon corps n’en avait pas envie) simplement un bouillon et de l’eau, et regarder autrement mon genou. J’y pose de l’argile verte, m’attendant à le voir complètement dégonflé après deux heures (l’impatiente que je suis est encore bien présente), ce n’est pas le cas, mais mon genou parait content.

Le soir j’avais rendez-vous avec un ami, et j’avais déjà retrouvé un peu plus d’entrain. J’ouvre la porte, et je reçois un magnifique bouquet de fleur, toujours devant moi à l’heure où j’écris ; Il m’a emmenée dans un super resto et j’ai goûté la nourriture encore mieux qu’avant. Nous avons passé une excellente soirée à papoter et rire de nos potagers vides, et de l’intérêt d’y rester un peu.

Et le lendemain je me suis levée fraiche et plus joyeuse.

La suite au prochain épisode…

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 » Mais c’est quoi un ligament et pourquoi ce titre » me direz-vous. Avant juin 2022 je connaissais vaguement cette appellation « ligament croisé du genou », mais aucune idée de ce à quoi il servait, ni très intéressée par ce petit élastique dans le genou qui permet de bouger comme on le souhaite.

Et oui avant tout fonctionnait bien…

Je faisais de la planche à voile, je courrais (de temps en temps), je n’étais pas ce qu’on appelle une « grande sportive », mais j’aimais bouger. La vitesse, la glisse, c’était ce qui me faisait vibrer ; et je croyais que mon corps était infaillible.

Comment est-ce possible ? Et bien c’est simple, je n’ai jamais rien eu de cassé, jamais été opérée, hormis des dents. J’étais d’ailleurs assez fière de ce corps, en qui j’avais toute confiance.

Et pourtant, un jour, fin mai 2022, trop de vent, pas d’écoute de mon ressenti, et hop bardaff, la chute ; et la découverte que quand ce petit ligament pète, ton genou ne tient plus. Depuis ce jour, par contre, je la connais bien cette partie du corps et je mesure à quel point ce que l’on considère souvent comme des détails de notre anatomie ont une fonction essentielle.

Pour faire court, pendant deux mois, j’ai du remuscler ma jambe, apprendre à marcher sans ligament, doucement. Puis début aout 2022, j’ai choisi l’opération. Cela consiste à ouvrir le genou, aller chercher un tendon dans la cuisse, et le remettre à la place du ligament perdu.

Dans ma tête de linotte, je me disais « c’est très bien, un petit moment difficile à passer, l’opération puis une petite rééducation et hopla, on redémarre avec un genou plus solide », c’est la fille qui se définit comme « rapide, aimant la vitesse, et en plus impatiente » qui parle (j’en ris -jaune- encore)

Le jour J arrive : je me pointe à l’hopital comme une princesse à l’hôtel, prête à rentrer chez moi trois jours plus tard. Je n’ai fait ni course, ni rien de particulier. J’avais même prévu de remettre des consultations la semaine d’après, me disant « je surélèverai ma jambe et tout sera nickel », j’en ris encore (jaune à nouveau).

J’ai annulé toutes mes consultations et je suis en arrêt de travail !

J’ai béni la pompe à morphine de l’hopital et les antidouleurs, moi l’anti-médicamenteuse !,

J’ai ragé contre ce genou, le temps, les gens qui ne se rendaient pas compte ! Je me suis laissée aller à la victimite aigue, en culpabilisant un peu (« m’enfin ce n’est pas si grave, j’ai toujours une jambe, tout va bien ») pleuré de désespoir, comme quand tu es enfant et que tu sanglotes très bruyamment ! Je faisais cela chez moi en écoutant de la musique très déprimante ! Et ça m’a fait du bien. Moi, celle qui tourne tout en positif avec une forte tendance à spiritualiser tout ce qui arrive dans la vie (je me rends compte comme cela a du être pénible ce laïus) !

Franchement les premières semaines, j’étais digne d’une bonne comédie dramatique : le mascara qui coule (oh non même pas, pas le courage de se maquiller, plutôt le visage tout fatigué), les muscles en gélatine. C’est étonnant comme ça prend du temps pour muscler les jambes et même pas deux semaines pour que cela se transforme en mou ! J’étais en pyjama toute la journée, dormir sans dormir, tourner comme un lion en cage et ne rien savoir faire ; et j’allais oublier l’activité principale de la journée : prendre une douche (en levant la jambe, sans glisser, toute une affaire), suivi de tout ce qui habituellement va vite sans qu’on ait besoin d’y penser, et qui dans ce moment là devient un challenge à relever. Par exemple : prendre une bouteille d’eau quand tu as deux béquilles ; monter dans ton lit avec un sac à dos et tout ce dont tu as besoin ; penser à chaque déplacement à tout ce que tu peux prendre en même temps pour limiter les mouvements ; demander à tes amis, à tes parents, à ta fille, à des inconnus s’ils peuvent t’apporter ou te porter ceci ou cela (moi qui me définissais comme indépendante ! )

J’ai même appelé ma mère pour aller chez elle quelques jours ; elle m’a installée dans un transat à l’ombre d’un cerisier, les doigts de pieds en éventail, et m’a cuisiné un tas de bons petits plats. Puis mon père est venu aussi me chercher. C’était marrant de redevenir un enfant en garde alternée :) Sauf que j’en ai 46, une ado de 18 et le genou en vrac. Mais j’ai reçu et cela m’a fait du bien de dire « maman j’ai mal, maman j’en ai marre ».

Et me voilà, un mois après à commencer un blog sur ce que cela amène dans ma vie : chamboulement, émotions, prises de conscience, etc…

Pourquoi ? Qui est-ce que cela intéresse ? Peut-être les gens qui vivent aussi un changement dans leur corps suite à un accident, une chute, une maladie, etc… le corps est en arrêt, il ne suit plus comme d’habitude, et un autre fonctionnement s’impose. Et peut-être plus largement toute personne qui perd ses repères et fait face à une épreuve imprévue.

Cela concerne toute personne qui vit un grand changement, un burn out, une perte, qui doit faire le deuil de quelque chose qui allait de soi AVANT.

Je me rends compte que mon corps et ce que j’y vis est une vrai métaphore de ma vie, de nos vies. Cela parle de notre manière de fonctionner dans le monde, de la manière dont nous nous définissons et de faire face aux changements.

Histoire d’un ligament, c’est d’abord un journal de bord pour moi, donc sans filtre, mais aussi parce que je suis convaincue que cette expérience, que je vais partager en direct va être aussi éventuellement utile à d’autres. Ou pas, tant pis :)

La suite au prochain chapitre :)